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Existe-t-il dans l’être humain, dans son cerveau, un endroit, une zone, petite ou grande, d’où la mémoire soit absente, qu’elle n’ait jamais effleurée ?



Alors que la continuité n’existe nulle part, sauf dans la mémoire, existe-t-il dans l’être humain, dans son cerveau, un endroit, une zone, petite ou grande, d’où la mémoire soit absente, qu’elle n’ait jamais effleurée ? Il vaut la peine d’observer tout cela, d’avancer sainement, rationnellement, de voir la complexité et les replis de la mémoire ainsi que sa continuité qui est, somme toute, le savoir. Le savoir est toujours dans le passé, il est le passé. Le passé est une immense mémoire accumulée, la tradition. Et quand on a examiné tout cela avec soin, sainement, la question inévitable est celle-ci : existe-t-il une zone dans le cerveau, dans la profondeur de ses replis, ou dans la nature et la structure intérieure de l’homme et non dans ses activités extérieures, qui ne soit pas le résultat de la mémoire et du mouvement de la continuité ?

Les collines et les arbres, les prairies et les bois dureront aussi longtemps que la terre, à moins que l’homme ne les détruise par cruauté et désespoir. Le ruisseau, la source d’où il vient, ont une continuité, mais nous ne nous demandons jamais si les collines et l’au-delà des collines ont leur propre continuité. S’il n’y a pas de continuité, qu’y a-t-il ? Il n’y a rien. Nous avons peur de n’être rien. Rien signifie qu’aucun objet n’existe. Aucun objet assemblé par la pensée, rien qui puisse être reconstitué par la mémoire, les souvenirs, rien qui puisse se décrire par les mots puis se mesurer. Il se trouve certainement, sûrement, un domaine dans lequel le passé ne projette pas son ombre, où le temps, le passé, le futur ou le présent ne signifient rien. Nous avons toujours essayé de mesurer par des mots ce que nous ne connaissons pas. Nous essayons de comprendre ce que nous ignorons en l’affublant de mots, le transformant ainsi en un bruit continu. Et ainsi encombrons-nous notre cerveau, déjà plein d’événements passés, d’expériences et de savoir. Nous pensons que le savoir est d’une grande importance psychologique, mais cela est faux. Il est impossible de croître par le savoir ; il faut que le savoir cesse pour que le neuf puisse exister. Neuf est un mot qui qualifie ce qui n’a jamais été auparavant. Et ce domaine ne peut être compris ou saisi par des mots ou des symboles : il est au-delà de tous les souvenirs.

Dernier journal 1983



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