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David Bohm - Point de vue sur la mensuration en Orient et en Occident (Article bilingue)



Version française :

Article du Professeur D.J. Bohm,
Section physique,
Birkbeck Collège, Université de Londres,
paru dans le bulletin n°17 de l’ACK.

La plupart des gens plus ou moins observateurs ont conscience en ce moment d’un morcellement intense et envahissant de toute la trame de la vie humaine, à la fois sociale et individuelle. Cette perception nous pousse à désirer mettre fin à cette fragmentation afin de permettre à l’homme de vivre dans une intégration et une unité comme, peut-être, il le faisait avant que ne paraisse la phase destructive actuelle de notre développement humain. En recherchant cette sorte de libération de la fragmentation, bien des gens se tournent vers d’autres cultures et d’autres types de société, espérant y trouver une approche supérieure à celle qui est actuellement prédominante. En Occident particulièrement, ils sont de plus en plus nombreux ceux qui ont le sentiment que, peut-être, en Orient (particulièrement en Inde) un tel point de vue existe encore, dans ce sens que leur religion et leur philosophie mettent l’accent sur la totalité, impliquant ainsi la futilité d’un mode de vie où tout est vu sous l’angle analytique et comme étant constitué par des éléments séparés. Il semblerait alors naturel de suggérer que, laissant de côté notre méthode occidentale fragmentaire, nous adoptions plutôt la manière de voir orientale. Ce chemin comprend en général non seulement un point de vue sur le soi et sur le monde qui rejette toute division et fragmentation, mais aussi des techniques de méditation ayant pour but de conduire tous les processus d’activités mentales en dehors du verbalisme pour aboutir à un état calme et uni favorisant le courant harmonieux propre à mettre fin à la fragmentation à sa source même, autrement dit cet état de l’esprit chaotique, turbulent et confus dans lequel nous vivons la plupart du temps.

Pour comprendre plus profondément ce qu’implique cette question, il est utile de considérer la différence entre les idées que les orientaux et les occidentaux se font de la mesure. Cette différence a eu une importance cruciale dans la croissance, les attitudes à l’égard de la vie, qui se sont développées au cours des siècles dans ces deux parties du monde.

Or, en Occident, l’idée de mesure a, depuis les temps les plus reculés, joué un rôle déterminant dans la notion générale du monde, et des modes de vie qui découlent d’un tel point de vue. C’est ainsi que chez les anciens grecs, d’où nous tenons la plupart de nos notions fondamentales, il était tenu comme un des principes essentiels d’une vie bien conduite de garder la juste mesure en tout (les tragédies grecques, en général, exprimaient la souffrance de l’homme comme étant une conséquence naturelle du dépassement de la juste mesure des choses). Ainsi, la mesure n’avait pas encore le sens moderne d’être essentiellement une comparaison avec un objet comportant une unité standard (par exemple entre tant de pouces ou de livres). Cette dernière façon de voir était plutôt vue comme une manifestation extérieure d’une mesure ou d’une proportion « intérieure » plus profonde, qui jouait un rôle essentiel en toute chose. Quand quelque chose outrepassait sa juste mesure, cela signifiait non seulement qu’il ne se conformait pas à quelque étalon externe du juste mais, bien plus, intérieurement il se trouvait en désharmonie et devait par là perdre son intégrité, et se briser en fragments. On peut se faire une idée de cette façon de penser en observant le sens primitif de certains mots. Ainsi, le latin « mederi » signifiant « guérir » (la racine du mot « médecine ») est en rapport avec un radical signifiant « mesurer ». Ceci manifeste le point de vue que la santé physique doit être considérée comme le résultat d’un état de juste mesure intérieure, de proportion, dans toutes les parties et les processus du corps. De même, le mot « modération », qui exprime une des premières idées de vertu, se rapporte à la même racine ; ceci prouve qu’une telle vertu était regardée comme étant le résultat d’une juste mesure intérieure sous-jacente aux actions sociales et au comportement de l’homme. Et encore, le mot « méditation » issu de la même racine implique une sorte de mesure ou d’appesantissement sur tout le processus de la pensée, lequel pourrait aboutir à un état de mesure harmonieuse dans toutes les activités intérieures de l’esprit. Ainsi, physiquement, socialement et mentalement, la perception de cette proportion ou mesure intérieure des choses était considérée comme le principe essentiel d’une vie saine, heureuse et harmonieuse.

Il est instructif, ici, de se remémorer les idées des anciens grecs sur la mesure dans la musique et dans les arts visuels. Ces idées affirmaient qu’une certaine maîtrise en matière de mesure était nécessaire pour comprendre l’harmonie musicale (par exemple le rythme, les proportions dans l’intensité du son, dans la tonalité, etc.). De même, s’agissant d’art visuel, la juste mesure était tenue pour essentielle pour instituer l’harmonie et la beauté (considérez « Golden Mean »). Tout ceci nous montre bien comment la notion de mesure dépassait de beaucoup celle de la simple comparaison avec un étalon extérieur, mais indiquait une sorte de proportion intérieure universelle, saisie à la fois par les sens et par l’esprit.

Avec le temps, cependant, ce sentiment de mesure se modifia peu à peu, pour perdre sa subtilité et tomber relativement dans le mécanique et le grossier. Ceci se produisit probablement parce que le sentiment de la mesure devint de plus en plus une affaire de routine et d’habitude, à la fois en ce qui concernait les manifestations extérieures des mesures se rapportant à une unité externe, et à sa signification intérieure d’une proportion universelle propre à assurer la santé physique, l’ordre social et l’harmonie mentale. Les hommes se mirent à apprendre de telles notions de mesure mécaniquement, en se conformant aux enseignements de leurs aînés ou de leurs maîtres, et non pas créativement par un sentiment intérieur et une compréhension de la profonde signification de la mesure et de la proportion, qu’ils se proposaient d’apprendre. Ainsi la mesure en vint petit à petit à être enseignée comme une sorte de règle imposée de l’extérieur à l’être humain lequel, à son tour, imposait cette mesure physiquement, socialement et mentalement dans toutes les disciplines où il travaillait. En conséquence, les notions prédominantes de la mesure ne furent plus un aspect de la pénétration. Elles apparurent plutôt comme des « vérités absolues portant sur la réalité telle qu’elle est », notions que l’homme semblait avoir toujours eues et dont l’origine était souvent expliquée mythologiquement comme des ordres impératifs donnes par les Dieux, qu’il serait à la fois dangereux et maléfique de mettre en doute. L’idée que l’on se faisait de la mesure tendait ainsi à tomber dans le domaine des habitudes inconscientes et, en conséquence, les idées que cette pensée reconstruisait dans la perception étaient considérées comme des réalités objectives, directement observées, et complètement indépendantes de leurs origines.

Même à l’époque des anciens grecs, ce processus était allé loin, et quand les hommes s’en rendirent compte, ils commencèrent à critiquer l’idée de mesure. Ainsi, Protagoras dit : « l’homme est la mesure de toutes choses », mettant ainsi l’accent sur le fait que la mesure n’est pas une réalité extérieure de l’homme, existant indépendamment de lui. Mais ceux qui avaient pris l’habitude de tout regarder extérieurement, et ils furent nombreux, appliquèrent cette façon de voir aux propos mêmes de Protagoras. Ils en conclurent ainsi que la mesure était une chose arbitraire, sujet au choix capricieux ou au goût personnel de chaque individu. Ce faisant, ils négligèrent ce fait que la mesure est un aspect de la pénétration qui existe en accord avec la réalité supérieure au sein de laquelle l’homme vit, et qui se manifeste par la clarté de la perception et l’harmonie de l’action qui en résulte. Une telle pénétration ne peut surgir que quand un homme travaille sérieusement et honnêtement, donnant toujours le pas à la vérité et aux faits, plutôt qu’à ses propres caprices et à ses propres désirs.

La notion de mesure se développa constamment dans le sens du rigide et de l’objectif, et actuellement le mot même « mesure » indique principalement un processus de comparaison avec quelque chose qui constitue un étalon extérieur. Alors que le sens originel survit encore dans certaines disciplines (les arts et les mathématiques) en général il n’est senti que comme ayant une portée secondaire.

Or, en Orient, la notion de mesure n’a pas joué un rôle aussi fondamental. Plutôt, selon la philosophie prédominante en Orient, l’immesurable (c’est-à-dire ce qui ne peut être ni nommé, ni décrit, ni compris par aucune forme de raisonnement) est considéré comme étant la réalité primordiale. Ainsi, en sanscrit (langue dont l’origine est commune à celles du groupe indo-européen) existe un mot « matra » signifiant « mesure » dans le sens musical et qui se rapproche du grec « metron ». Mais il y a aussi un autre mot « maya » issu de la même racine et qui signifie « illusion ». Cette observation est extraordinairement significative. Alors que dans le monde occidental, dérivant des grecs, la mesure, avec tout ce qu’implique ce mot, constitue l’essence même de la réalité, ou tout au moins la clé qui en ouvre la porte, en Orient, la mesure est considérée plus ou moins comme étant fausse et trompeuse. Bien plus, toute la structure mesurable et l’ordre des formes, et des proportions qui se présentent à notre perception habituelle, sont considérés comme une sorte de voile recouvrant la réalité vraie, laquelle est imperceptible aux sens, et dont on ne peut rien dire et rien penser.

Il est clair que le développement divergent des deux sociétés s’accorde avec leur attitude à l’égard de la mesure. Ainsi, en Occident, la société a mis l’accent sur le développement de la science et de la technologie (qui dépendent de la mesure) alors qu’en Orient l’accent a été mis sur la religion et la philosophie (lesquelles, en fin de compte, sont tournées vers l’immesurable).

En y regardant de plus près, il est visible que, dans un certain sens, l’Orient avait raison de voir dans l’immesurable la réalité primordiale. Car, comme il a été dit plus haut, la mesure est une perception créée par l’homme. Une réalité qui est au-delà de l’homme et antérieure à lui, ne peut dépendre d’une telle perception. Bien plus, toute supposition tendant à conclure que la mesure a existé avant l’homme et indépendamment de lui conduit, comme nous l’avons vu, à « l’objectivation » de cette perception humaine, si bien qu’elle devint rigide, impropre au changement et, en fin de compte, une tromperie et une illusion dans notre appréhension primordiale du soi et du monde.

D’autre part, il serait évidemment erroné d’entretenir l’idée que la mesure est en elle-même incapable d’être autre chose qu’un voile faux et trompeur, une illusion recouvrant la vraie nature de la réalité. Peut-être, pourrait-on plutôt dire que tout ce qu’on peut assimiler dans le champ de la mesure est réel, mais d’une réalité en quelque sorte conditionnelle et dépendante. Cela dépend, en fin de compte, de ce qui est la totalité immesurable. Mais cette totalité ne saurait être séparée du champ de la mesure. Plutôt, l’immesurable déborde et renferme le mesurable. Ou, pour exprimer la chose différemment, tout ce qui est mesurable a son origine, sa substance et son ultime dissolution dans ce qui est immesurable et indéfinissable, et qui est la source créative de toute chose. Néanmoins, une compréhension adéquate de l’aspect mesurable de la réalité, prise comme un tout, est évidemment nécessaire à la perception claire et à l’action juste dans toutes les phases de la vie.

On peut penser que peut-être dans des temps très reculés, les hommes qui furent assez sages pour voir que l’immesurable est la source primordiale et indépendante de toute réalité, furent également assez sages pour voir que la mesure est une vue, un aspect secondaire et dépendant de cette réalité, laquelle peut aider à promouvoir l’ordre et l’harmonie dans notre vie. Ce qu’ils ont peut-être dit c’est que quand la mesure est identifiée à « la totalité de la réalité telle qu’elle est » ceci est illusion. Mais alors, quand les hommes se sont mis à apprendre de telles choses en se conformant aux enseignements de la tradition, le sens en est devenu presque entièrement habituel et mécanique. Comme il a été dit plus haut, la subtilité fut perdue et les hommes se mirent à dire simplement : « toute mesure est illusion ». Ainsi, en Orient comme en Occident, la véritable pénétration devint quelque chose de faux et trompeur, par suite du processus mécanique par lequel on apprenait, par suite d’un conformisme à l’égard de l’enseignement existant, plutôt que par une vision créative et originelle des perceptions implicites dans de tels enseignements.

Il est évidemment impossible de revenir à cet état de totalité qui était peut-être présent avant que ne se produise la brèche entre l’Orient et l’Occident (parce que nous ne savons que peu de chose sur cet état). Ce qui est plutôt nécessaire c’est d’apprendre à nouveau, d’observer et de découvrir par nous-mêmes le sens de la fragmentation et de la totalité. Evidemment, il nous faut connaître les enseignements du passé, à la fois ceux de l’Occident et de l’Orient ; mais il serait peu valable d’imiter ces enseignements ou de s’efforcer à s’y conformer. Toutefois, développer une nouvelle pénétration dans la fragmentation et dans la totalité implique un travail créateur encore plus ardu que celui qui permet de nouvelles découvertes fondamentales en matière scientifique ou des créations originales dans le monde artistique. En passant, on pourrait dire que l’homme dont la créativité s’apparente à celle de Einstein n’est pas celui qui en imite les idées, ni même celui qui en trouve de nouvelles applications. C’est plutôt celui qui a appris Einstein, et qui ensuite avance et accomplit quelque chose d’original, qui est capable d’assimiler les éléments valides du travail d’Einstein et de dépasser même ce travail dans des chemins qualitativement neufs. Donc, ce que nous avons à faire en ce qui concerne la profonde sagesse du passé tout entier, à la fois en Orient et en Occident, c’est de l’assimiler et d’aller au-delà par une perception nouvelle et originale par rapport à la condition actuelle de notre vie.

Ce faisant, il importe d’avoir une idée très claire sur le rôle des techniques, telles que celles utilisées dans les différentes formes de méditation. Dans un sens, ces techniques de méditation peuvent être considérées comme étant des mesures (des actions déterminées par le savoir et la raison) qui sont employées par l’homme dans le dessein d’atteindre l’immesurable, autrement dit, un état d’esprit où il cesse de sentir une séparation entre lui-même et la réalité totale. Il est clair cependant que cette notion comporte un élément de contradiction ; car l’immesurable est précisément ce qui ne peut pas être enfermé dans les frontières établies par le savoir et la raison de l’homme.

Certes, dans certains cas particuliers, les mesures techniques comprises dans un esprit juste, peuvent nous conduire à des actions d’où peut résulter une vision, si nous sommes observateurs. Mais de telles possibilités sont limitées. De même, ce serait une contradiction absolue que de se figurer pouvoir formuler des techniques destinées à permettre de nouvelles découvertes scientifiques fondamentales ou des œuvres d’art originales ; car l’essentiel de telles actions est une certaine liberté à l’égard des autres, qui devraient servir de guides. Comment cette liberté pourrait-elle être transmise dans une activité où la source principale d’énergie est le conformisme au savoir d’un autre ou au modèle de comportement établi par un autre ? Et si en matière de science et d’art les techniques sont incapables d’enseigner la créativité, combien ceci est plus vrai quand il s’agit de « découvrir l’immesurable ! ».

En fait, il n’existe aucune action directe et positive que l’homme puisse accomplir dans le but d’entrer en contact avec l’immesurable ; car une telle mutation doit être immensément au-delà de tout ce que l’homme peut saisir avec son esprit ou accomplir avec ses mains ou des instruments. Ce que l’homme peut faire c’est de donner toute son attention, toute son énergie créatrice pour établir l’ordre et la clarté dans le champ tout entier de la mesure. Ceci implique, évidemment, non seulement la manifestation extérieure de la mesure en fonction d’unités externes, mais encore la mesure ou la proportion intérieure telle que la santé du corps, la modération dans l’action et la méditation qui permet une pénétration et une connaissance des cheminements de la pensée. Ce dernier point est particulièrement important parce que la fragmentation a ses racines dans ce type de pensée qui déborde ses justes frontières d’harmonie, en confondant son propre contenu avec une réalité qui serait indépendante de la pensée. En Occident, cette confusion a surgi en grande partie après l’application mécanique et routinière de la mesure, à tel point que tout est envisagé comme étant morcelé en éléments séparés, parce que les limites mesurables de chaque élément sont aperçues comme étant des réalités existant indépendamment. En Orient, un point de vue également routinier et mécanique a pris naissance par l’acceptation d’idées et de techniques de seconde main, il a conduit à une fragmentation entre les aspects mesurables quotidiens de la réalité et un domaine particulier immesurable qui serait totalement différent (aussi bien entre les méthodes imposées par l’autorité et les réponses spontanément créatives de l’individu qui s’efforce de se conformer à ces méthodes).

Pour mettre fin à cette fragmentation générale, il faut une pénétration intelligente, non seulement en ce qui concerne l’ensemble du monde, mais encore en ce qui concerne l’instrument qu’est la pensée. En particulier, ce qui est nécessaire n’est pas une mesure de la pensée pour déterminer si elle a ou non dépassé ses propres limites ; il faut plutôt qu’il y ait une sorte d’observation d’instant en instant permettant de voir comment la pensée dans sa totalité tend constamment à introduire la mesure dans des domaines où elle n’a que faire. Ceci exige un acte créateur de perception prenant naissance dans les sens et dans l’esprit, et qui contient sa propre discipline spontanée, laquelle ne dépend ni de l’autorité d’un autre, ni d’une technique imposée pour assurer son ordre ou son maintien propre. Grâce à une méditation comprenant une telle perception et une telle discipline spontanée, la pensée en viendra à fonctionner dans l’ordre, et tout le champ du mesurable sera alors harmonieux, et ainsi capable de se mouvoir parallèlement avec l’immesurable.

Quand règne une telle harmonie, l’homme peut avoir non seulement la perception de ce que signifient la fragmentation et la totalité, mais chose bien plus importante, il peut réaliser la vérité de cette perception dans chaque phase et aspect de sa vie.

Ceci exige, néanmoins, qu’il consacre toutes ses énergies créatrices à l’examen tout entier du champ de la mesure, et qu’il renonce à son désir (généralement implicite et inexprimé) d’une sorte de direction dans sa recherche. Ceci est sans doute extrêmement ardu et difficile. Mais comme tout en dépend, c’est une entreprise qui est hautement digne de toute notre attention, de tous nos soins.

Bulletin n°17 de l’ACK - Printemps 1973


Version anglaise

INSIGHT INTO MEASURE, IN THE EAST AND THE WEST
By Professor D. J. Bohm,
Department of Physics,
Birkbeck College, University of London.

Most people who are at all observant are now aware of an intense and pervasive fragmentation of the entire fabric of human life, both social and individual. Such an awareness tends to give rise to the urge to end this fragmentation so that man may live in wholeness and integrity, as he perhaps once did before the current disruptive phase of human development began. In the search for this sort of release from fragmentation, many people are turning to other cultures and other forms of society, hoping that these may provide an approach superior to the one that is now dominant. Particularly in the West, more and more people are beginning to feel that perhaps in the East (especially in India) such a superior approach still survives, in the sense that religion and philosophy emphasise wholeness, and imply the futility of a way of life based on seeing everything as analysed into separate parts. It may thus seem natural to suggest that we drop our fragmentary Western approach and adopt instead the Eastern way. This way generally includes not only a view of the self and the world that denies division and fragmentation, but also, techniques of meditation aimed to lead the whole process of mental operation non-verbally to the quiet state of smooth and orderly flow needed to end fragmentation at its very source, i.e. the chaotic, turbulent and generally confused state of mind in which we ordinarily tend to live most of the time.

To understand more deeply what is involved in these questions, it is useful to go into the difference between Eastern and Western notions of measure. For these have been of crucial significance in the development of the different general attitudes to life that have come about over the centuries in these two parts of the world.

Now, in the West, the notion of measure has, from very early times, played a key role in determining the general self-world view, and the modes of living implicit in such a view. Thus, among the ancient Greeks, from whom we derive a large part of our fundamental notions, to keep everything in its right measure was regarded as one of the essentials of a good life (e.g. Greek tragedies generally portrayed man’s suffering as a consequence of his going beyond the proper measure of things). In this regard, measure was not looked on in its modern sense as being primarily some sort of comparison to an object with an external standard or unit (e.g. so many inches or pounds). Rather, this latter procedure was regarded as a kind of outward display or appearance of a deeper ’inner’ measure or proportion, which played an essential role in everything. When something went beyond its proper measure, this meant not merely that it was not conforming to some external standard of what was right, but much more, that it was inwardly out of harmony, so that it was bound to lose its integrity, and break up into fragments. One can obtain some insight into this way of thinking by considering the earlier meanings of certain words. Thus, the Latin ’mederi’ meaning ’to cure’ (the root of the word ’medicine’) is based on a root meaning ’to measure’. This reflects the view that physical health is to be regarded as the outcome of a state of right inward measure, or proportion, in all parts and processes of the body. Similarly, the word ’moderation’, which describes one of the prime ancient notions of virtue, is based on the same root ; and this shows that such virtue was regarded as the outcome of a right inner measure underlying man’s social actions and behaviour. And again, the word ’meditation’ which is based on the same root, implies a kind of weighing, pondering, or measuring, of the whole process of thought, which could bring the inner activities of the mind to a state of harmonious measure. So, physically, socially and mentally, awareness of the inner proportion or measure of things was seen as the essential key to a healthy, happy, harmonious life.

In this connection, it is instructive to call to mind ancient Greek notions of measure in music and in the visual arts. These notions emphasised that a grasp of measure was necessary for the understanding of harmony in music (e.g. measure as rhythm, right proportion in intensity of sound, right proportion in tonality, etc.). Likewise, in the visual arts, right measure was seen as essential to overall harmony and beauty (e.g. consider the ’Golden Mean’). All of this indicates how far the notion of measure went beyond that of comparison with an external standard, to point to a universal sort of inner proportion, perceived both through the senses and through the mind.

As time went on, however, this notion of measure gradually began to change, to lose its subtlety, and to become relatively gross and mechanical. Probably this was because man’s notions of measure became more and more routinised and habitual, both with regard to its outward display in measurements relative to an external unit and to its inner significance as a universal sort of proportion relevant to physical health, social order, and mental harmony. Men began to learn such notions of measure mechanically, by conforming to the teachings of their elders or their masters, and not creatively through an inner feeling and understanding of the deeper meaning of the measure or proportion which they were learning. So measure gradually came to be taught as a sort of rule that was to be imposed from outside on the human being, who in turn imposed the corresponding measure physically, socially and mentally, in every context in which he was working. As a result, the prevailing notions of measure were no longer seen as forms of insight. Rather, they appeared to be ’absolute truths about reality as it is’, which men seemed always to have known, and whose origin was often explained mythologically as binding injunctions of the Gods, which it would be both dangerous and wicked to question. Thought about measure thus tended to fall mainly into the domain of unconscious habit, and as a result, the forms induced in perception by this thought were now seen as directly observed objective realities, which were essentially independent of How they were thought about.

Even by the time of the ancient Greeks, this process had gone a long way, and as men realised this, they began to question the notion of measure. Thus. Protagoras said : ’Man is the measure of all things’, thus emphasising that measure is not a reality external to man, existing independently of him. But many who were in the habit of looking at everything externally also applied this way of looking to what Protagoras said. Thus, they concluded that measure was something arbitrary, and subject to the capricious choice or taste of each individual. In this way, they of course overlooked the fact that measure is a form of insight that has to fit the overall reality in which man lives, as demonstrated by the clarity of perception and harmony of action to which it leads. Such insight can arise properly only when a man works with seriousness and honesty, putting truth and factuality first, rather than his own whims or desires.

The general rigidification and objectification of the notion of measure continued to develop, until in modern times, the very word ’measure’ has come to denote mainly a process of comparison of something with an external standard. While the original meaning still survives in some contexts (e.g. art and mathematics) it is generally felt as having only a secondary sort of significance.

Now, in the East, the notion of measure has not played nearly so fundamental a role. Rather, in the prevailing philosophy in the Orient, the immeasurable (i.e. that which cannot be named, described, or understood through any form of reason) is regarded as the primary reality. Thus, in Sanskrit (which has an origin common to the Indo- European language group) there is a word ’matra’ meaning ’measure’, in the musical sense, which is close to the Greek ’metron’. But then there is another word ’maya’ obtained from the same root, which means ’illusion’. This is an extraordinarily significant point. Whereas, to Western society, as it derives from the Greeks, measure, with all that this word implies, is the very essence of reality, or at least, the key to this essence, in the East, measure has come to be regarded as being in some way false and deceitful. Indeed, the entire measurable structure and order of forms and proportions that present themselves to ordinary perception are regarded as a sort of veil, covering the true reality, which cannot be perceived by the senses, and of which nothing can be said or thought.

It is clear that the different ways the two societies have developed fit in with their different attitudes to measure. Thus, in the West, society has mainly emphasised the development of science and technology (dependent on measure) while in the East, the main emphasis has gone to religion and philosophy (which are directed ultimately toward the immeasurable).

If one considers this question carefully, one can see that in a certain sense, the East was right to see the immeasurable as the primary reality. For as has already been indicated, measure is an insight created by man. A reality which is beyond man and prior to him cannot depend on such insight. Indeed, the attempt to suppose that measure exists prior to man and independently of him leads, as has been seen, to the ’objectification’ of man’s insight, so that it becomes rigidified and unable to change, eventually bringing about falseness and deception in our overall apprehension of the self and the world.

On the other hand, it would clearly be wrong to accept the notion that measure is inherently incapable of being anything else but a false and deceitful veil of illusion, covering the true nature of reality. Rather, one may perhaps say that whatever can be assimilated within the field of measure is real, but of a dependent conditional sort of reality. What it depends on is ultimately the immeasurable totality. But this totality is
not separate from the field of measure. Rather, the immeasurable overlaps and includes the measurable. Or to put it in another way, all that can be measured has its origin, its sustenance, and its ultimate dissolution in the immeasurable and undefinable which is the creative source of everything. Nevertheless, an adequate understanding of the measurable aspect of reality as a whole is evidently necessary for clear perception and right action in every phase of life.

One may speculate that perhaps in very early times, the men who were wise enough to see that the immeasurable is the primary and independent source of all reality were also wise enough to see that measure is insight into a secondary and dependent aspect of this reality, which is capable of helping to bring about order and harmony in our lives. What they may have said is perhaps that when measure is identified with ’the whole of reality as it is’ this is illusion. But then, when men learned this by conforming to the teachings of tradition, the meaning became largely habitual and mechanical. In the way indicated earlier, the subtlety was lost, and men began to say simply : ’measure is illusion’. Thus, both in the East and in the West, true insight may have been turned into something false and misleading, by the procedure of learning mechanically through conformity to existent teachings, rather than through a creative and original grasp of the insights implicit in such teachings.

It is of course impossible to go back to a state of wholeness that may have been present before the split between East and West developed (if only because we know little, if anything, about this state). Rather, what is needed is to learn afresh, to observe, and to discover for ourselves the meaning of fragmentation and wholeness. Of course, we have to be cognisant of the teachings of the past, both Western and Eastern. But to imitate these teachings or to try to conform to them would have little value. However, to develop new insight into fragmentation and wholeness requires a creative work, even more difficult than that needed to make fundamental new discoveries in science, or great and original works of art. It might in this context be said that the one who is similar to Einstein in creativity is not the one who imitates Einstein’s ideas, nor even the one who applies these ideas in new ways. Rather, it is the one who learns from Einstein, and then goes on to do something original, which is able to assimilate what is valid in Einstein’s work, and yet goes beyond this work in qualitatively new ways. So what we have to do with regard to the great wisdom from the whole of the past, both in the East and in the West, is to assimilate it and to go on to new and original insight relevant to our present condition of life.

In doing this, it is important that we be clear on the role of techniques, such as those used in various forms of meditation. In a way, techniques of meditation can be looked on as measures (actions ordered by knowledge and reason) which are taken by man to try to reach the immeasurable, i.e. a ’state of mind in which he ceases to sense a separation between himself and the whole of reality. But clearly, there is a contradiction in such a notion. For the immeasurable is, if anything, just that which cannot be brought within limits determined by man’s knowledge and reason.

To be sure, in certain specifiable contexts, technical measures, understood in a right spirit can lead us to do things, from which we can derive insight, if we are observant. But such possibilities are limited. Thus, it would be a contradiction in terms to think of formulating techniques for making fundamental new discoveries in science or creative and original works of art. For the very essence of such action is a certain freedom from dependence on others, who would be needed as guides. How can this freedom be transmitted in an activity in which conformity to someone else’s knowledge or pattern of behaviour is the main source of energy ? And if techniques cannot teach creativity and originality in art and science, how much less is it possible for them to enable us to ’discover the immeasurable’ ?

Actually, there are no direct and positive things that man can do to get in touch with the immeasurable. For this must be immensely beyond anything that man can grasp with his mind or accomplish with his hands or his instruments. What man can do is to give his full attention and creative energies to bring clarity and order into the whole of the field of measure. This involves, of course, not only the outward display of measure in terms of external units, but also, inward measure or proportion, as health of the body, moderation in action, and meditation, which gives insight into the operation of thought. This latter is particularly important because fragmentation has its root in the kind of thought that goes beyond its proper limits of harmony, by confusing its own content with a reality that would be independent of thought. In the West, this confusion has arisen, largely in the routine and mechanical application of measure, in such a way that everything is treated as broken up into separate parts, because the measurable limits of each part are seen as independently existent realities. In the East, a correspondingly routine and mechanical approach through acceptance of the authority of other people’s ideas and techniques has rather generally led to a fragmentation between the everyday measurable aspects of reality and some special immeasurable domain that would be totally different (as well as between the methods imposed by the authority and the spontaneously creative responses of the individual who tries to conform to these methods).

To end this general fragmentation requires intelligent insight, not only into the world as a whole, but also, into how the instrument of thought is working. In particular what is needed is not the measurement of thought, to determine whether it has gone beyond its proper limits or not. Rather, there has to be a kind of observation from moment to moment, of how thought as a whole tends continually to carry measurement into contexts in which it is not relevant. This requires a creative act of perception through the senses and through the mind, that contains its own spontaneous discipline, not dependent on the authority of another or on the imposition of a technique for its order or its sustenance. Through meditation involving such perception and such spontaneous discipline, thought will come to work in a proper order, and the whole field of the measurable will then be harmonious, so that it can move in parallel with the immeasurable.

When such harmony prevails, man can then not only have insight into the meaning of fragmentation and wholeness, but what is much more significant, he can realise the truth of this insight in every phase and aspect of his life.

This requires, however, that he give his full creative energies to the enquiry into the whole field of measure, and that he drop his demands (generally implicit and unexpressed) for some sort of guidance in this enquiry. To do this may perhaps be extremely difficult and arduous. But since everything turns on this, it is surely worthy of the serious attention and utmost consideration of each one of us.

(Published in KFT Bulletin 17, Spring 1973)





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