Si nous examinons nos rapports actuels les uns avec les autres, qu’ils soient intimes ou superficiels, profonds ou passagers, nous voyons qu’il y a toujours fragmentation. La femme ou le mari, le jeune homme ou la jeune fille, chacun vit sa propre ambition, ses buts personnels et égoïstes, enfermé dans son propre cocon. Tous ces éléments contribuent à la construction d’une image en soi-même, tous nos rapports avec autrui passent à travers cette image et, par conséquent, il n’y a aucune relation réelle directe.
Je ne sais pas si vous avez conscience de la structure de la nature de cette image que chacun construit autour de soi et en lui-même. Cela se fait à chaque instant, et comment peut-il y avoir des relations avec autrui quand existent cet élan personnel, cette envie, cette esprit de compétition, cette avidité, et toutes ces forces qui sont entretenues et exagérées dans notre société moderne ? Comment pourrait-il y avoir des relations avec un autre si chacun de nous est lancé à la poursuite de sa propre réussite personnelle, de son propre succès ? Je ne sais pas si nous avons conscience de tout ceci. Nous sommes ainsi conditionnés que nous l’acceptons comme étant chose normale, le modèle de la vie, chacun de nous devant poursuivre ses propres particularités, ses propres tendances, et néanmoins s’efforcer d’établir des relations avec autrui. N’est-ce pas là ce que nous faisons tous ? Vous êtes peut-être marié, et vous allez au bureau ou à l’usine ; quoique que vous fassiez pendant la durée de la journée, c’est cela que vous poursuivez. Et votre femme est chez elle, ayant ses propres ennuis, en proie à ses propres vanités, avec tout ce qui se passe autour d’elle. Et quelles sont alors les relations existant entre ces deux êtres humains ? Au lit, dans leur vie sexuelle ? Des relations tellement superficielles, limitées et circonscrites ne sont-elles pas en elles-mêmes l’essence de la corruption ?
On peut se demander : comment vous proposez-vous de vivre si vous n’allez pas au bureau, si vous ne poursuivez pas votre propre ambition, vos propres désirs d’atteindre ou d’aboutir ? Si l’on ne fait rien de tout cela, que peut-on faire ? Il me semble que ceci est une question absolument fausse. N’êtes-vous pas du même avis ? Par ce que nous sommes préoccupés, n’est-ce pas, de susciter un changement radical dans la structure même de notre esprit. La crise n’est pas dans le monde extérieur elle est dans notre conscience elle-même. Tant que nous n’aurons pas compris cette crise profondément et non selon les idées de quelques philosophes, mais jusqu’au moment où véritablement nous comprendrons par nous-mêmes en regardant en nous-mêmes, en nous examinant nous-mêmes, nous serons incapables de provoquer un tel changement. C’est la révolution psychologique qui nous préoccupe, et cette révolution ne peut se produire que s’il y a des relations justes entres les êtres humains.
Extrait de la causerie de J Krishnamurti à New York City le 24 avril 1971 (source : « L’éveil de l’intelligence » aux éditions Stock. deuxième trimestre 1975 Chapitre 1, pages 77 à 95)