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Krishnamurti et l’éducation par Gisèle Balleys



Pouvons-nous parler de Krishnamurti sans évoquer le sage, le mystique, le philosophe, le révolutionnaire de la conscience, le visionnaire, l’amoureux de la vie, mais aussi l’éducateur lucide et responsable ?

Krishnamurti a encouragé et participé à la création de cinq écoles en Inde, une en Amérique et une en Angleterre. Toutes ces écoles sont situées dans un cadre exceptionnel de nature et de beauté. Elles ont été crées non seulement dans le but d’apporter une éducation générale, mais aussi de promouvoir l’application de l’enseignement de Krishnamurti et d’aider à la transformation de la conscience. Devant l’immensité de cette mission, Certains professeurs avaient approché Krishnamurti en lui disant, « la tâche est trop énorme, pourrions-nous changer cela ? » Mais Krishnamurti avait refusé. Ceci m’a souvent laissé pensive. Devons-nous tronquer le sommet de l’Himalaya si nous ne pouvons atteindre que le camp de base ? Ou devons-nous plutôt nous équiper en vue d’une ascension longue, périlleuse et difficile, même si le sommet risque de n’être jamais atteint ?

La création de ces écoles est en cohérence totale avec l’homme lucide et responsable qu’était Krishnamurti. « Nous sommes le monde et le monde est nous » affirmait-il. Il n’y a pas de clivage entre ce qui se passe à l’extérieur et ce qui se passe en nous. Il a souvent décrit ce mouvement comme le flux et le reflux de la marée et a exhorté ceux qui l’ont écouté à commencer par se comprendre eux-mêmes. En effet, sans la compréhension de notre dichotomie intérieure, le monde sera le reflet de la souffrance, de la confusion, des désirs contradictoires qui nous habitent. Krishnamurti a montré que nous sommes faits de tous les conditionnements passés (les images, les expériences vécues, les traumatismes accumulés dans la conscience) et que nous sommes également les héritiers de l’espèce humaine. Notre prison c’est nous-mêmes. Cette conscience ainsi créée nous dirige à notre insu.

La question qui se pose est de savoir s’il est possible d’appliquer ces idées dans le cadre d’une école. Se pourrait-il que des enfants, ou des jeunes personnes, entourés d’éducateurs avertis et lucides, puissent être allégés de ce conditionnement et ainsi découvrir la vraie liberté ? Il n’est pourtant pas facile d’inciter des jeunes à la connaissance d’eux-mêmes et des autres car leur énergie fuse vers le monde extérieur. Comment les inciter à s’ouvrir au potentiel du vivant, sans en faire une histoire de moralité mais bien une aventure exaltante ? De plus, dès la première jeunesse, des peurs se sont déjà inscrites en nous. Elles se cachent sous l’envie de se conformer aux groupes, de ne pas être trop aventureux ou au contraire en totale réaction, ce qui est aussi une manière de se protéger.

De plus, les jeunes veulent se forger une personnalité : la persona dont parlent les grecs ou masque. Souvent nous voulons voyager avec un masque unique et nous ne nous demandons jamais ce qui se cache derrière le masque.

Le principe qui me semble le plus important est la nécessité pour les professeurs de se plonger également dans l’aventure, d’être eux-mêmes en état de questionnement, en mouvement. Le climat doit être celui d’une ferveur envers la vie et son potentiel.

Mais les difficultés sont bien réelles car les jeunes éduqués dans nos écoles devront faire face à la société actuelle et y apporter leur contribution. Il ne s’agit pas de former des jeunes à l’écart de la société, mais des êtres responsables et capables.

Pour mener à bien cette tache, il est nécessaire
d’une part de parfaire les outils nécessaires à l’apprentissage des matières qui décrivent le monde extérieur comme les mathématiques, la physique, la biologie et l’histoire. Cela nécessite une bonne mémorisation, un esprit logique, une pensée précise, une compréhension des causes et effets etc.

D’autre part de faire intervenir le silence, la présence, la vigilance, le questionnement des valeurs établies, l’observation et l’émergence d’une sorte de virginité et d’authenticité pour permettre la compréhension du monde intérieur et de nos conditionnements.

Ces deux modes de fonctionnement sont-ils contradictoires ?

Du point de vue intellectuel, le cerveau semble fonctionner à plein rendement lorsqu’il est en état de stimulation, d’appréciation de l’extérieur, de reconnaissance et il est possible de mesurer les résultats.
Le monde intérieur a une virginité et une instantanéité sans lien avec son expression bien qu’il puisse parfois se traduire par une composition musicale ou une toile exquise. Pourtant, il n’est pas mesurable. Peut-on mesurer l’état de bonté, de joie ?

Les deux modes de fonctionnement peuvent sans doute s’enrichir, se vivifier...

L’enseignement diffusé dans les écoles Krishnamurti s’applique à l’être humain dans sa globalité et n’est pas limité au développement des capacités intellectuelles qui ne sont qu’une partie d’un développement harmonieux. Cela signifie qu’une attention particulière est portée au corps, à la nourriture, au sens de la beauté, à l’affectif et à la relation aux autres.

Krishnamurti a lancé le défi d’un développement de l’être humain dans sa totalité, et d’une éducation visant au bonheur de l’homme et à l’épanouissement de la bonté.

C’est un champ à explorer et les écoles Krishnamurti doivent être considérées comme des tentatives courageuses de se détourner des valeurs axées principalement sur le plaisir et la valorisation personnelle à tout prix, pour découvrir le sacré dans l’humain.

Citations à choisir, tiré du livre « Lettres aux écoles »

« Quand la pensée régit toutes nos activités et toutes nos relations, elle nous conduit à un monde de violence, de terreur, de conflit et de misère » p. 98

« Si l’éducateur est vraiment concerné comme il doit l’être, il doit aider l’élève à découvrir quelle est sa relation au monde, pas le monde de l’imagination ou de la sentimentalité romantique, mais le monde réel avec tout ce qui s’y passe » (pp. 48-49)

« L’observation n’est pas une habitude. Ce n’est pas quelque chose que vous vous entraînez à faire automatiquement. C’est le regard neuf de l’intérêt, du souci des autres, de la sensibilité. » (p. 102)

« Quand l’enseignant et l’enseigné ont à cœur de comprendre vraiment l’importance extraordinaire de la relation, ils établissent alors entre eux, dans l’école, une relation juste. » (p. 13)

« L’éducateur ne doit pas éveiller la peur chez l’élève. La peur sous toutes ses formes rend l’esprit infirme, entraîne la destruction de la sensibilité et un rétrécissement des sens. La peur est le lourd fardeau que l’homme a toujours porté. » (p. 16)

« Apprendre est donc de l’observation pure — non seulement ce qui se passe au dehors de vous, mais aussi de ce qui se passe en vous, c’est observer sans observateur. » (p.24)

« Créer une atmosphère ou éducateur et élèves s’épanouissent dans la bonté, c’est la raison d’être de l’école toute entière. » (p.61)

« Pour nous, l’objet de l’éducation, c’est de libérer l’esprit du moi (...) Notre rôle est de faire éclore une génération nouvelle libérée de cette énergie limitée qu’on appelle le moi. » (p.65)

« le passé façonne votre esprit, votre coeur et vos sens. l’éducation est l’art d’apprendre ce qu’est ce conditionnement et le moyen d’en sortir, de se libérer de ce fardeau. » (p.83)

« Le monde est devenu un endroit ou il est dangereux de vivre et, dans nos écoles, toute forme de coercition, de menace, de colère, doit être totalement évitée car tout cela durcit le coeur et l’esprit et l’esprit et l’affection ne peut exister avec la cruauté. » (p. 104)

« Lorsque vous étudiez et apprenez au sujet de vous-même, il se dégage une force extraordinaire faite de clarté qui peut résister à toutes les absurdités de l’ordre établi. ... C’est la force de l’affection et de l’intelligence. » (p. 108

Article paru dans le n°38 (Juin/Juillet/Août/Septembre 2002) de la revue : Infos Yoga





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