L’attention particulière dédiée à Jiddu Krishnamurti, dans ce parcours de connaissance et
recherche, se justifie par sa révolution herméneutique entrainée par le bouleversement de toute
méthode visant à saisir des vérités.
La base de son enseignement réside dans le fait qu’un changement profond au niveau de la société
ne peut s’accomplir que par une mutation à un niveau individuel.
L’individu doit avoir une conscience claire et lucide de ses comportements et se détacher de ses conditionnements religieux
et nationalistes qui n’ont pour effet que de créer la servitude, la confusion et la séparation. Son
point de vue de base est que « comprendre » correspond à voir très clairement que l’esprit ne peut
pas connaître : l’inconnu.
C’est une capitulation de l’intellect, il abandonne toute tentative de contrôler et systématiser la
réalité parce qu’une conscience plus compréhensive en a relevé l’inutilité. Donc la démarche pour
la connaissance est pour Krishnamurti une admission d’ignorance et d’insaisissabilité de la Vérité.
Si l’esprit se rend compte de son incapacité totale à appréhender le connu, s’il perçoit qu’il ne peut
pas faire le moindre pas dans sa direction, alors selon Krishnamurti, l’esprit devient totalement
silencieux. Il n’est pas plongé dans le désespoir, car il ne cherche plus rien. Comprendre
Krishnamurti implique une expérience personnelle de « révolution du silence »4. On n’arrive pas à
la connaissance par les mots ou les concepts. C’est bien cette assertion qui empêche d’être fidèle à
sa pensée en conceptualisant cet indicible état de l’être humain.
Le vrai défi est l’encadrement du cercle : transmettre une pensée tautologique par une logique
démonstrative. Par l’effort de systématiser sa pensée on risque de tomber dans la contradiction.
Décrire par un système de compréhension logique, l’idée du sacré ou l’Otherness« ( »état autre« , »autreté") c’est impossible, parce que « Le mot n’est pas la chose. »5 Dans la construction d’un sens
neuf de la dimension spirituelle de l’homme, présupposant de formuler des liaisons et des
comparaisons entre les termes spiritualité et laïcité, l’intellect vient aider, par la logique, la
conception d’un autre état de l’être, porteur d’intelligence, qui est de l’ordre du vécu, du perçu et
enfin du conçu.
Le sage anglo-indien J. Krishnamurti ne s’intéresse pas à la dialectique productrice de conflit entre
deux concepts opposés comme intellectualité et spiritualité, qui sont aussi deux aptitudes innées de
l’homme, il refuse l’asservissement à la dualité au nom d’une pluralité des possibilités, même
d’infinies occasions qui se déploient face à l’homme qui se découvre soi-même et le monde qui
l’entoure.
La dualité ne peut pas être dépassée, et l’unité ne peut pas se produire sans être dans le champ
total de la conscience et non simplement dans un de ses fragments. Il s’agit de cette totalité, quand
on parle de spiritualité laïque, ce dépassement des opposés n’est possible que dans un état de totale
attention, un abandon à sa propre présence, cette globalité de vision arrête le conflit produit par la
fragmentation de la conscience et permet peut-être de devenir des êtres humains achevés. Mais
pour dépasser la dualité, selon Krishnamurti, il ne faut pas penser en terme de comparaison, il ne
faut pas se mesurer, parce qu’en se mesurant on se nie soi-même, on crée une illusion. « Aucun
conflit n’existe si n’existe aucune séparation entre le moi et l’autre. »6
L’hypothèse d’une spiritualité laïque provient de la quête d’un homme nouveau à naître, qui soit
conscient totalement de la sacralité de sa vie et qui perçoit son existence reliée au mouvement
global de la nature qui l’entoure parmi tous ses sens, où l’esprit peut être libéré des enchaînements
de l’intellect.
On peut parler de « l’intuition d’une dimension sacrée de la vie »7 et, en tant qu’intuition, il ne s’agit pas
d’une opération intellectuelle, cette perception ne passe pas par la pensée mais en fait l’abstraction.
Elle correspond à une conscience de la sacralité obtenue par un état d’attention constante à ce qui
est dans l’instant. Aucune croyance en entité extérieure à l’homme n’est impliquée dans cette
conscience du sacré, mais plutôt une profonde connaissance de soi et du monde, obtenue par
l’observation pénétrante en condition d’abandon total de tous modèles de raisonnement.
C’est la connaissance de soi par la recherche personnelle, une attention permanente à son action,
ses pensées, ses actes et surtout leur compréhension qui déclenche l’évolution vers la sagesse. C’est
la sagesse de l’homme qui agit en état d’esprit libre de correspondre à sa propre morale intérieure
et qui ne vit plus dans la contradiction entre l’être et le faire.
Du concept de spiritualité laïque et de l’hypothèse d’accomplissement spirituel de l’homme par la
connaissance de soi, le passage vers la compréhension des approches possibles à cette aptitude
humaine par la relation pédagogique, devient naturel.
L’éducation, est le domaine dans lequel on peut retrouver des champs d’application concrets des
moyens de transmission d’une dimension spirituelle qui ne peut pas être enseignée, mais qui peut
être conçue et vécue par la résonance mise en acte dans la relation maitre-élève.
Lumare Giusi, La spiritualité laïque et l’éducation
1 G. Devoto, G. C. Oli, Il dizionario della lingua italiana, Firenze, Le Monnier, 2000.
2 Ibidem.
3 H. Peña-Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité ?, Paris, Gallimard, 2003, p. 198.
Lumare Giusi, La spiritualité laïque et l’éducation
Présences, revue d’étude des pratiques psychosociales Vol. 4
http://www.uqar.ca/psychosociologie...
4 J. Krishnamurti, La révolution du silence, Paris, Stock, 1971.
5 J. Krishnamurti, A propos de Dieu, Paris, Stock, 1997, p. 17.
6 J. Krishnamurti, Se libérer du connu, (1969), Paris, Stock, 2000, p. 58.
7 http://www.barbier-rd.nom.fr/journa..., R. Barbier, « Spiritualité laïque - une expérience de pédagogie
active », 11/3/2006.
Lumare Giusi, La spiritualité laïque et l’éducation
Lumare Giusi, La spiritualité laïque et l’éducation
Présences, revue d’étude des pratiques psychosociales Vol. 4
http://www.uqar.ca/psychosociologie...