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R. Feldman Gonzalez - Mes conversations avec Jiddu Krishnamurti - (extrait 1)



Ruben Feldman Gonzalez est un médecin argentin qui a oeuvré pour la promotion de l’Esperanto dans les années soixante, et depuis sa rencontre avec Jiddu Krishnamurti et David Bohm, parcourt le continent américain pour dialoguer autour de la « méditation » de Krishnamurti, qu’il a renommé « perception unitaire ».

Cet extrait relate la première rencontre de l’auteur avec Krishnamurti. Pour poursuivre la lecture, vous pouvez télécharger la version française complète.

Veuillez noter que le texte ci-dessous n’est pas tiré d’un enregistrement provenant des archives de la Fondation Krishnamurti. Le Krishnamurti Foundation Trust n’est pas en mesure de reconnaître cette transcription comme authentique et les mots attribués à Krishnamurti dans ce texte sont reconstruits à partir de souvenirs personnels.

Les contradictions politiques en Argentine avaient toujours été importantes. Elles atteignirent néanmoins un de leurs plus hauts degrés à la fin d’août 1972. A cette période un groupe de guérilleros gauchistes, hommes et femmes, furent tués en prison à Trelew-Argentina, et je fus horrifié d’entendre que l’un d’entre eux avait été un ami de la famille.
Je commençais à recevoir des appels téléphoniques me sommant de prendre part dans le combat armé : « Si tu n’es pas pour la gauche, tu es pour la droite », m’avait dit une voix d’homme avant de raccrocher pendant que je prenais soin d’un nouveau-né à Villada, en Argentine, le 23 août 1972.

Le jour suivant, j’allais à Buenos Aires pour obtenir un visa pour les USA. Si l’homme perd tout respect pour la vie, nous sommes tous en danger. L’homme devient son propre bourreau.

Ce n’est qu’après deux ans que j’obtins un visa temporaire pour entrer aux USA. Chaque Argentin était suspect à cette époque.

Je fis halte à Puerto Rico. Il y avait un homme que je voulais voir : Enrique Biascoechea.

Je le rencontrais. Il était mourant. Il avait été un ami de Krishnamurti depuis l’âge de neuf ans. Il écrivit une lettre à Krishnamurti, lui disant que j’avais laissé derrière moi mes parents, deux fils en bas âge, possessions, amis, profession, confort et statut pour voyager et le rencontrer.

C’était en juin 1974. Enrique mourut en novembre 1974.

Après avoir atteint les USA, je me trouvai bientôt à travailler 16 heures par jour comme médecin résident en Pennsylvanie. J’avais besoin d’un dictionnaire pour dicter mes notes. Sur les huit heures restantes de la journée, j’en passais quatre au sous-sol à étudier la médecine en anglais pour revalider mon diplôme. Je dormais trois ou quatre heures par jour, et mangeais une seule fois par jour, prenant du café le matin et encore au déjeuner, simplement pour me tenir éveillé.

Parfois je me demande comment mon corps a pu soutenir tant d’abus !

Je reçus des lettres d’Argentine : misère pour ma famille, et mes amis continuaient de disparaître.

J’avais perdu l’espoir de rencontrer Krishnamurti quand je reçus une lettre de Madame Zimbalist, datée du 5 janvier 1975 à Ojai, Californie, m’indiquant que j’aurais une entrevue personnelle avec Krishnamurti le 23 mars à 16 heure à l’hôtel Huntington de San Francisco, en Californie.

Madame Zimbalist a offert son temps à Krishnamurti comme secrétaire dévouée. Elle est la veuve du défunt Sam Zimbalist qui avait produit le célèbre film Ben Hur.

A 16 heures le 23 mars 1975 précises, je frappai à la porte de Krishnamurti. Madame Zimbalist fit tout ce qu’elle put pour me mettre à l’aise.

Krishnamurti est venu après cinq minutes. Je me suis levé du fauteuil pour lui serrer la main. Il me parut plus petit que je ne m’y attendais. Il portait une vieille veste bleue. Il s’assit en face de moi, il n’y avait rien entre nos deux chaises. Silencieusement, Madame Zimbalist nous laissa.

Nous nous sommes assis là, nous regardant l’un l’autre. Je ne pourrai jamais décrire ce moment au cours duquel Krishnamurti me regardait fixement. Je ressentis en même temps tout l’amour que j’avais éprouvé pour mes parents, mes fils, mes compagnes, mes amis (vivants ou morts)...

Il y eut un long silence...

Krishnamurti dit : « Biascoechea dit que vous êtes prêt à travailler pour la Fondation. »

Je dis : « Je pourrais bien ne pas être assez sage ou libre pour ça. »

Krishnamurti : « Vous le serez. »

Ruben : « Qu’est-ce que ce travail implique ? »

Krishnamurti : « Publier des livres, des vidéos et des cassettes. »

Ruben : « Ça implique de gérer de l’argent. »

Krishnamurti : « Des millions de dollars. »

Ruben : « Ça m’horrifie. Je ne suis pas prêt pour ça. J’ai pensé que je devrais voyager avec vous, transcrire vos lectures à partir de cassettes enregistrées... des choses comme ça. »

Krishnamurti : (rire) « Vous pouvez faire plus que ça, Docteur... »

Ruben : « Mon nom est Ruben Ernesto Feldman Gonzalez. »

Krishnamurti : « C’est compliqué. Pourrais-je vous appeler Dr Gonzalez ? »

Ruben : « Bien sûr, mais mon véritable nom est colère. »

Krishnamurti : (touchant mon genou gauche) « Ah ! Je suis heureux que vous ne portiez pas un masque, comme nombre de ceux qui viennent à moi en prétendant être des saints. »

Ruben : « J’en suis loin. Je ressens une complète répulsion pour la soi-disant situation politique en Argentine, mon pays de naissance, et même pour la manière dont ma profession est pratiquée. Je suis un chirurgien pédiatrique. J’ai commencé à étudier la psychiatrie (juillet 1974) en Pennsylvanie pour comprendre pourquoi le monde est devenu aussi fou. Néanmoins, je ne suis pas impressionné, l’approche du traitement en psychiatrie est conventionnel. Standardisé. Je vais laisser la psychiatrie également. Je ne sais pas ce que je vais faire. »

Krishnamurti : « N’abandonnez pas la psychiatrie. Changez la. »

Ruben : « Je n’ai jamais pensé que vous me donneriez des conseils concrets comme celui-là. Ceci me semble absurde, cependant. Changer la psychiatrie résonne comme changer la couleur des criquets dans le monde. »

Krishnamurti : « Vous devez changer la psychiatrie. »

Ruben : « J’aimerais comprendre ce que vous voulez dire. »

Krishnamurti : « Vous devez rencontrer le Dr David Bohm à Londres. Allons-y bientôt. »

Ruben : « J’aimerais pouvoir, peut-être en demandant un prêt. »

Krishnamurti : « Non ! Ne demandez pas un prêt. Vous le rencontrerez bientôt de toute manière. »

Ruben : « J’ai besoin de changement. Je n’ai pas de paix. Des amis ont disparu en Argentine. Tout paraît si chaotique et corrompu... »

Krishnamurti : (Souriant) « Vous avez besoin d’exercice. » (Krishnamurti toucha mon ventre avec le bout de son index gauche)

Ruben : « Je travaille 16 heures par jour et ensuite je dois m’asseoir et étudier 4 heures avant d’aller dormir. Tout ceci pour renouveler ma licence d’exercice médical aux USA. »

Krishnamurti : « C’est une excuse. Prenez soin de vous-même. Vous avez besoin d’exercice. Vous ressemblez à un taureau. »

Ruben : « Parfois j’ai le sentiment que j’ai besoin de partager ma compréhension avec des gens dans le monde. Qu’avez-vous à dire à ça ? »

Krishnamurti : « Vous parlez. »

Un très long silence suivit... Je m’étais attendu qu’il me dise « Restez là. » et qu’ainsi je passe le reste de ma vie en méditation silencieuse. Avec très peu de mots, il était le parfait miroir pour que mes propres contradictions émergent et soient clairement vues.

Il insista : « La Fondation de Puerto Rico n’a pas de gestionnaire. J’espère que vous prendrez ce poste. » (il saisit mon genou gauche)

Ruben : « Krishnaji, quand j’étais avec Biascoechea tout paraissait si simple !
Maintenant je vois que je n’ai pas la paix de l’esprit, les bonnes qualifications ni la liberté (deux fils et deux parents à nourrir) pour me consacrer raisonnablement à une tâche aussi importante et difficile.
Ce n’est certainement pas un pique-nique. »

Krishnamurti : « J’espère que vous accepterez. »

Un autre long silence suivit...

Krishnamurti a examiné plusieurs questions concernant les traductions de la Fondation, les gens comme Salvado Sendra, Vimala Thakar, les luttes personnelles et idéologiques au sein des Fondations, etc...

Ruben : « Je suis désireux de rencontrer Salvador et Vimala... mais les gens de la Quatrième Voie essaient de mélanger ce que vous dites avec ce que d’autres ont dit et sont tout-à-fait disposés à commander les Fondations. »

Krishnamurti : « C’est ce qui s’est toujours passé et pas seulement avec eux. La Quatrième Voie est un chemin de violence qui renforce l’ego et le désir de contrôler la vie et son cours. N’y touchez pas. Le premier insight (compréhension subite) est de laisser tomber tout ce qui est non-essentiel pour la totale libération de l’humanité. »

Ruben : « Puisque vous mentionnez le non-essentiel... Pourquoi avez-vous autorisé la publication de votre biographie écrite par Lutyens ? Elle est pleine de racontars et très superficielle, et il pourrait ne pas être juste de vendre l’ouvrage intitulé Aux pieds du maître avec votre nom dessus. »

Krishnamurti : « Ce ne sont pas mes livres. »

Ruben : « Et ils en tirent un bénéfice. »

Krishnamurti : « Ce ne sont pas mes affaires. »

Ruben : « Comment recommanderiez-vous vos livres, et dans quel ordre ? »

Krishnamurti : « Ne les lisez pas comme une nouvelle. Lisez-les lentement comme si votre vie était dans chaque mot et chaque phrase. Commencez avec le dernier et si vous y avez trouvé un intérêt, remontez chronologiquement jusqu’au premier. »

Ruben : « Devons-nous lire tous vos livres ? »

Krishnamurti : « Si vous preniez un train de San Francisco pour aller à Los Angeles ... descendriez-vous du train à Santa Barbara ? »

Nous rîmes ensemble. On rit très souvent en compagnie de Krishnamurti. Actuellement [en 1999] l’ordre des livres serait :

-  Ending of Time
-  The Awakening of Intelligence
-  Commentaries on Living
-  Journal
-  Freedom from the Known
-  Collected Works (1933-67) en 17 volumes (Kendall-Hunt)

Je demandais : « Pourquoi ne mangez-vous pas de viande ? »

Il répondit : « Par pitié. »

J’espérais une plus longue explication mais ce fut tout ce qu’il dit. A nouveau un long silence... Le silence était vivant, le silence de deux amis vigilants regardant ensemble la même chose au même moment.

Il se leva et dit :« Excusez-moi Dr Gonzalez, je vais préparer du thé pour vous ».

Dans la cuisine de la grande suite, il chuchota quelque chose à Madame Zimbalist qui était assise là.

Il revint avec une tasse de thé. Il dit : « Du thé à la rose pour vous. »

Je le goûtai, mais je n’aimai pas ça. Je le laissai sur la petit table à côté de nous.

Ruben : « Pouvons-nous parler à propos de la méditation ? »

Krishnamurti : « Existe-t-il quoique ce soit d’autre ? »

Ruben : « Et bien, le mot même « méditation » est utilisé par des gourous de toutes sortes pour faire de l’argent, vendre des livres idiots, des techniques, des oreillers, des cristaux, des incantations, et de l’encens. »

Krishnamurti : « J’ai employé ce mot depuis cinquante ans. Je ne peux pas le changer maintenant. Les gens devront me voir employer ce mot avec une signification différente. Je n’utilise pas le mot méditation avec sa signification traditionnelle ! »

Ruben : « Que pensez-vous du fait d’utiliser l’expression « Perception Unitaire » à la place ? »

Krishnamurti : « Vous l’employez. »

(Krishnamurti a indiqué qu’il n’emploierait plus le mot méditation lors de son dernier entretien en Angleterre en 1985, dix ans après.)

Krishnamurti : « Pourquoi ne pas vivre très simplement ? Appelez-le méditation ou Perception Unitaire. La préservation et l’agrandissement de soi au travers de l’argent et du succès doivent prendre fin pour vivre simplement. Vivre avec simplicité est vivre avec intelligence, sans un observateur qui observe. Si vous croyez que vous avez à retourner en Argentine pour être loyal à certains de vos concepts, vous n’êtes pas simple. Si vous êtes en colère vous n’êtes pas simple. Si vous êtes plein de douleur vous ne pouvez aimer qui que ce soit. Pouvez-vous être spontané et simplement agir sans trop planifier ? »

Ruben : « Vous n’êtes pas en train de dire que je dois rester seul et vivre dans la pauvreté et le silence ? »

Krishnamurti : « Est-ce que ce serait simple ? Voudriez-vous vous échapper de la vie ? L’accomplissement de la vérité n’est pas de réussir ou d’être riche… mais voulez-vous la vérité complète ? Recherchez le succès ou l’argent, et vous trouverez la frustration. Recherchez la vérité et vous recevrez la paix totale de l’esprit et la joie. Serez-vous parmi les exceptions ? Ou continuerez-vous à être l’un des nombreux adorateurs de l’argent et du succès ? »

Après un long silence, il dit : « Dr Gonzalez, votre thé doit déjà être froid, finissez-le ! »

Je n’eus pas le courage de dire non et je bus silencieusement.

Il dit : « Rencontrons-nous demain matin à huit heures. »

Krishnamurti m’accompagna jusqu’à la porte, l’ouvrit pour moi et sourit aimablement en disant : « Au revoir ».

Je dis : « Quel nom pourrait s’appliquer à ce que vous enseignez - « message », « évangile »,.. ou quoi ? »

Krishnamurti dit : « Nommez-le « L’enseignement ». Rencontrons-nous demain matin à huit heures, ici-même. »

Je passai le reste de l’après-midi dans ma propre chambre, celle que j’avais loué dans l’hôtel où Krishnamurti résidait. Je me suis senti comme un condor pour le reste du jour.

Je rencontrais Krishnamurti par hasard dans le hall de l’hôtel ce soir-là. J’ai marché avec lui un moment.

Je vis un couple de très belles filles. Je dis : « Dieu, comme elles sont belles ».

Il dit : « Seulement bien nourries ».

Je dis : « Krishnaji, je me suis senti comme un condor tout l’après-midi, plein de paix, de joie, et d’amour. Je pense que c’est parce que j’ai passé un peu de temps avec vous. »

Krishnamurti dit : « Pour combien de temps désirez-vous être infecté ? »

Mes conversations avec Krishnamurti
Ruben Feldman Gonzalez. Version française

Source : « Mes conversations avec Krishnamurti », de Ruben Feldman Gonzalez (traduction ACK du titre original « MIS DIÁLOGOS CON Jiddu KRISHNAMURTI ») - www.percepcionunitaria.org/fr/intro... - Tous droits réservés à l’ACK pour la version française.





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